Abstract Outline Text Notes References About the author Abstracts Bien au-delĂ du tableau conventionnel et abstrait de lâhistoriographie traditionnelle, basĂ© sur la nette opposition entre livre et public lettrĂ©s », et livre et public populaires », cette Ă©tude dessine le tableau complexe des stratĂ©gies de production, de distribution et de circulation des images du conte en filigrane de cette problĂ©matique, il sâagit de dĂ©montrer comment le conte mis en images imprimĂ©es constitue un Ă©lĂ©ment mobile et transversal dans une sociĂ©tĂ© essentiellement urbaine et moyennement alphabĂ©tisĂ©e. Lâhistoire, la fonction et lâutilisation sociale de ce conte mis en images sont reconstruites sur ce qui reste de lâancienne notion de culture populaire » dĂ©finie comme phĂ©nomĂšne sĂ©parĂ© et autonome. Deux Ă©tudes de cas appuient cette analyse celle de La Belle et la BĂȘte, du conte de Madame de Villeneuve Ă lâopĂ©ra-comique de Marmontel et GrĂ©try, ZĂ©mire et Azor, jusquâaux livrets de colportage français et aux chapbooks britanniques de la mi-xviiie au dĂ©but du xixe siĂšcle ; celle des continuations de La Barbe Bleue, fin xixe siĂšcle, des contes de la LittĂ©rature de la DĂ©cadence aux planches dâĂpinal. Going beyond the traditional opposition between âhighâ vs âpopularâ culture, this study draws the complex board of the strategies of production, distribution and circulation of the images that accompany fairy tales. With its printed images, the tale constitutes a mobile and transversal vehicle in an essentially urban society with middle levels of literacy. The history, the function and the social use of this illustrated and visualized fairy tale calls for a reconfiguration of the notion of âpopular cultureâ. Two case studies support this analysis the transformations of Beauty and the Beast in France and in England in the second part of the 18th century and of Blue Beardâs continuations in 19th century of page Full text 1 A. van Gennep, Remarques sur lâimagerie populaire », Revue dâEthnographie et de Sociologie, Paris ... 1En 1911, dans la Revue dâEthnographie et de Sociologie dont il est le directeur1, Arnold van Gennep publie des Remarques sur lâimagerie populaire, inspirĂ©es par lâĂ©dition rĂ©cente de lâHistoire de lâimagerie populaire flamande de E. van Heurck et J. Boekenoogen. Il y pose dâemblĂ©e cette question 2 Ibid., p. 26. Ătant donnĂ© que populaire se rapporte dâune part Ă lâacte de crĂ©ation, dâautre part au phĂ©nomĂšne de la transmission, et enfin Ă celui de lâutilisation dâune forme prĂ©tendue collective dâactivitĂ©, peut-on cependant, sous ce caractĂšre Ă premiĂšre vue collectif, discerner des tendances dĂ©terminĂ©es, et sont-elles rĂ©ellement collectives, ou bien individuelles2 ? 2Plus loin dans le texte, van Gennep constate combien le caractĂšre populaire » de la production de cette imagerie est dĂ©pendant de la gestion aussi bien Ă©conomique quâadministrative des Ă©diteurs, combien les procĂ©dĂ©s techniques interviennent aisĂ©ment sur le sens des rĂ©cits mis en images, combien les graveurs eux-mĂȘmes, usant systĂ©matiquement du rĂ©emploi, se sont arrogĂ©s un droit dâintervention narratif sur les contes quâils illustrent. Avec une luciditĂ© prĂ©coce face aux folkloristes de son temps, van Gennep rĂ©voque en doute les affirmations des collectionneurs et des bibliophiles qui voient en cette imagerie un jaillissement crĂ©atif, spontanĂ© et populaire, Ă lâauthenticitĂ© indiscutable 3 Ibid., p. 43. En somme, il faut reconnaĂźtre que plus on a de dĂ©tails sur lâorigine des bois pour imagerie populaire, plus on constate que ce nâest pas le peuple mĂȘme qui est intervenu pour dĂ©terminer le mĂ©canisme de la production, mais que ce mĂ©canisme a Ă©tĂ© toujours sous la dĂ©pendance immĂ©diate, disons mĂȘme soumis au bon plaisir, des manies et des essais non coordonnĂ©s dâun trĂšs petit nombre dâĂ©diteurs3. 3Ainsi, dĂšs 1911, van Gennep Ćuvre en historien alors que dâautres qualifient paresseusement ce fonds documentaire de populaire », il fait preuve, quant Ă lui, dâune vision dialectique dâune Ă©tonnante modernitĂ©. Cette analyse prĂ©sente lâavantage de poser de maniĂšre cruciale, et parfois cruelle, la question de lâinstrumentalisation du populaire » par les Ă©diteurs qui le produisent, mais aussi par les lettrĂ©s, Ă©rudits et universitaires confondus, qui lâinstrumentalisent. 4 A. Renonciat, Et lâimage, en fin de conte ? Suites, fantaisies et variations sur les contes de Pe ... 5 Ibid., p. 103. 6 Ibid. 4Or, sâil rĂ©vĂšle le caractĂšre inventif des interventions Ă©ditoriales et dessine du mĂȘme coup le graveur en auteur, van Gennep ne restitue pas pour autant lâimmense et foisonnante circulation de thĂšmes, de motifs, de performances, Ă©crites, lues, chantĂ©es, mises en scĂšnes, et de rites, qui, sâentrelaçant sans fin, donne Ă lâimage du conte une richesse qui, Ă dĂ©faut dâĂȘtre populaire » â mais faut-il quâelle le soit ? â, est assurĂ©ment collective. Annie Renonciat a dĂ©montrĂ© combien, dĂšs 1790, la production de feuilles dâimages obĂ©it Ă deux systĂšmes narratifs4. Dâun cĂŽtĂ©, les imagiers, pleinement investis dans leur effort pour transcrire le texte des conteurs lettrĂ©s, Ă©laborent la grande sĂ©rie des reprĂ©sentations codifiĂ©es et prescrites par le rĂ©cit antĂ©rieur ; le conformisme de ces crĂ©ations iconographiques, dominĂ©es par les habitudes dâimitation et de copie, rĂ©vĂšle combien les contraintes habituelles aux arts graphiques prescrivent les donnĂ©es du conte en image, produit stĂ©rĂ©otypĂ©, rĂ©sumĂ©, au sein dâune production standardisĂ©e, en quelques formules-clichĂ©s5 ». Dâun autre cĂŽtĂ©, la concurrence est si vive entre les centres imagiers, français et europĂ©ens, quâil faut trouver de nouvelles formes de sĂ©duction lâadoption de la lithographie, qui autorise toutes les libertĂ©s de trait et de mise en page, et le recours Ă de nouveaux artistes, formĂ©s Ă lâĂ©cole de la caricature et de lâillustration, favorisent le renouvellement et la diversification des images consacrĂ©es aux contes. Ces reprĂ©sentations se libĂšrent alors de la tutelle de Perrault et de ses successeurs, pour folĂątrer, explorant tous leurs possibles, exerçant tous leurs pouvoirs, dans un irrespect dĂ©libĂ©rĂ© du chef dâĆuvre littĂ©raire6 ». Je vais tenter, Ă travers deux exemples de contes mis en image, La Belle et la BĂȘte et La Barbe Bleue, de restituer le bouillonnement crĂ©atif de ce creuset, oĂč le conteur a certes toute sa place, mais ni plus ni moins quâun autre narrateur, quâil soit imagier, illustrateur, graveur ou Ă©diteur. Dans le premier cas, lâimage du livret de colportage sera le fil rouge de cette dĂ©monstration ; dans le deuxiĂšme, ce sera la planche dâĂpinal qui restituera lâentrelacs des rĂ©inventions narratives. La Belle et la BĂȘte illusions optiques 7 Madame de Villeneuve, La Belle et la BĂȘte », Le Cabinet des fĂ©es, ou Collection choisie des conte ... 5Câest en 1740 que Madame de Villeneuve fait paraĂźtre le conte La Belle et la BĂȘte dans son recueil La Jeune AmĂ©riquaine et les Contes Marins, publiĂ© Ă La Haye. Cette version est Ă peu prĂšs conforme Ă celle, plus connue, de Madame Leprince de Beaumont, publiĂ©e en 1757, tout au moins dans sa structure narrative essentielle. Les Ă©pisodes les plus spĂ©cifiques de la version de Madame de Villeneuve rĂ©sident dans lâexploitation de thĂšmes fantasmagoriques, rĂ©itĂ©rĂ©s et abondamment dĂ©veloppĂ©s tout au long du conte7. 6Si la Belle est bien confrontĂ©e Ă une BĂȘte, dont lâaspect lâeffraie pour dâĂ©videntes connotations sexuelles â une horrible bĂȘte qui dâun air furieux lui mit sur le cou une espĂšce de trompe semblable Ă celle dâun Ă©lĂ©phant » [Ă cet endroit du texte, p. 44, lui » renvoie au pĂšre de la Belle] â, elle pourrait en rĂ©alitĂ© dĂ©couvrir lâidentitĂ© de son geĂŽlier si elle Ă©tait plus attentive Ă ses songes. En effet, la Belle rĂȘve chaque nuit dâun bel inconnu qui nâest autre que la forme premiĂšre de la BĂȘte Un jeune homme beau comme on dĂ©peint lâamour, dâune voix qui lui portait au cĆur, lui dit Ne crois pas, la Belle, ĂȘtre si malheureuse que tu le parais. Câest dans ces lieux que tu dois recevoir la rĂ©compense quâon tâa refusĂ©e injustement partout ailleurs. Fais agir ta pĂ©nĂ©tration pour me dĂ©mĂȘler des apparences qui me dĂ©guisent. [...] Ensuite ce fantĂŽme si charmant lui parut Ă ses genoux joindre aux plus flatteuses promesses les discours les plus tendres. p. 69 7Or, ce rĂȘve est mis en scĂšne par une fĂ©e. La BĂȘte en expliquera les mĂ©canismes Ă la Belle, une fois intervenu lâheureux dĂ©nouement Elle me rendait invisible, et jâavais la satisfaction de vous voir servir par des esprits qui lâĂ©taient de mĂȘme, ou qui se montraient Ă vous sous diverses formes dâanimaux. Bien plus, la fĂ©e en dirigeant vos songes, vous faisait voir ma figure la nuit en idĂ©e, et le jour par mes portraits, et me faisait vous parler par la voie des songes, comme je pensais et comme je vous aurais parlĂ© moi-mĂȘme. Vous fĂ»tes confusĂ©ment mon secret, et mes espĂ©rances quâelle vous invitait de remplir, et par le moyen dâun miroir constellĂ©, jâĂ©tais tĂ©moin de vos conversations, et jây voyais ou tout ce que vous imaginiez dire, ou tout ce que vous pensiez. p. 162 8Cette relation Ă©trange ne se construit donc que par la grĂące dâimages, ou plus exactement par deux mondes dâimages qui se croisent sans jamais se rencontrer. Et ce prince, qui nâest quâune BĂȘte ou une idĂ©e », entoure la Belle dâillusions dâoptique La Belle dĂ©couvrit un théùtre des mieux illuminĂ©. [...] Ă lâinstant une douce symphonie, qui commença de se faire entendre, ne cessa que pour donner Ă dâautres acteurs que des comĂ©diens singes et perroquets, la libertĂ© de reprĂ©senter une trĂšs belle tragĂ©die, suivie dâune petite piĂšce qui, dans son genre, Ă©galait la premiĂšre. La Belle aimait les spectacles câĂ©tait le seul plaisir quâen quittant la ville elle eĂ»t regrettĂ©. Curieuse de voir de quelle Ă©toffe Ă©tait le tapis de la loge voisine de la sienne, elle en fut empĂȘchĂ©e par une glace qui les sĂ©parait, ce qui lui fit connaĂźtre que ce quâelle avait cru rĂ©el, nâĂ©tait quâun artifice, qui par le moyen de ce cristal, rĂ©flĂ©chissait les objets et les lui envoyait de dessus le théùtre de la plus belle ville du monde. Câest le chef-dâĆuvre de lâoptique de faire rĂ©verbĂ©rer de si loin. p. 81-82 9Le chĂąteau de la BĂȘte recĂšle encore bien dâautres possibilitĂ©s, telles que ces boĂźtes dâoptique La Belle avait en ses fenĂȘtres des sources intarissables de nouveaux amusements. Les trois autres lui donnaient, lâune le plaisir de la comĂ©die italienne, lâautre celui de la vue des Tuileries oĂč se rend tout ce que lâEurope a de personnes plus distinguĂ©es et des mieux faites dans les deux sexes. La derniĂšre fenĂȘtre nâĂ©tait pas la moins agrĂ©able elle lui fournissait un moyen sĂ»r pour apprendre tout ce qui se faisait dans le monde. La scĂšne Ă©tait amusante et diversifiĂ©e de toutes sortes de façons. CâĂ©tait quelquefois une fameuse ambassade quâelle voyait, un mariage illustre ou quelques rĂ©volutions intĂ©ressantes. p. 88 Le tableau magique » 10Comme dans les versions les plus connues, la Belle souhaite sâenfuir du chĂąteau. Mais ce nâest pas par lâentremise du miroir quâelle sâinquiĂšte de son pĂšre. En fait, elle est partagĂ©e entre les songes de la nuit et lâennui qui la ronge tout au long de la journĂ©e, malgrĂ© le plaisir des spectacles qui lui sont offerts Quand la Belle fut Ă©veillĂ©e, elle fit attention Ă ce songe qui commençait Ă lui paraĂźtre mystĂ©rieux. Mais il Ă©tait encore une Ă©nigme pour elle. Le dĂ©sir de revoir son pĂšre lâemportait pendant le jour sur les inquiĂ©tudes que lui causaient en dormant le monstre et lâinconnu. Ainsi ni tranquille la nuit, ni contente le jour, quoiquâau milieu de la plus grande opulence, elle nâavait pour calmer ses ennuis que le plaisir des spectacles. p. 92-93 8 Sur ces merveilles optiques dans le conte de Madame de Villeneuve, voir A. Defrance, La rĂ©fractio ... 11Plus que nâimporte quel autre auteur, Madame de Villeneuve pose le problĂšme de lâapparence, des effets dâoptique, des plaisirs et des dangers de lâillusion. Le personnage de la BĂȘte est tout autre, de ce fait, que ceux prĂ©sentĂ©s par Madame Leprince de Beaumont et ses Ă©mules non seulement la BĂȘte nâa pas de nom, mais elle nâa pas vraiment de corps, ainsi que la vĂ©ritĂ© » du rĂȘve lâillustre. Et câest bien par ce vide que la Belle se sent peu Ă peu menacĂ©e. Ce vide envahit lâespace auparavant si dense de la maison paternelle cette maison originelle est dĂ©truite aux yeux du lecteur qui ne connaĂźt plus que celle de la BĂȘte, ce chĂąteau riche en merveilles optiques ouvertes sur le monde entier8. 9 D. Anzieu, Le Moi-Peau », Nouvelle revue de psychanalyse, Le Dehors et le Dedans », no 9, print ... 12Or lâon sâennuie dans ce chĂąteau lâennui dâune Belle abandonnĂ©e Ă elle-mĂȘme, mais guettĂ©e en permanence par une BĂȘte invisible, coĂŻncide avec les points culminants de lâangoisse, Ă©tapes qui jalonnent le rĂ©cit, comme autant de points de repĂšre. Cette Belle se sent Ă juste titre menacĂ©e dans son intĂ©gritĂ© physique toutes les enveloppes protectrices, le jardin, la maison, la chambre, le corps, lâesprit mĂȘme, se rĂ©vĂšlent insuffisamment protectrices. Sâil est vrai que la notion dâĂ©tanchĂ©itĂ© corporelle est dĂ©terminante pour une bonne » constitution de lâimage de soi9, la Belle laissĂ©e dans cette situation de vulnĂ©rabilitĂ© est en vĂ©ritĂ© soumise Ă une opĂ©ration de dĂ©personnalisation violente au travers des rĂȘves rĂ©itĂ©rĂ©s que la fĂ©e et la BĂȘte lui imposent, lâhĂ©roĂŻne doit sâavouer vaincue devant cet ennemi, cette idĂ©e », ce fantĂŽme », capable de sâinsinuer en elle-mĂȘme, qui la vide de ses souvenirs, de sa famille, de son origine, de son passĂ©, pour mieux se lâapproprier. Cette intervention, vĂ©ritablement physique, vise Ă une dissociation de la personnalitĂ© et sâeffectue Ă lâaide de mĂ©diateurs fantasmagoriques et de prouesses techniques, oĂč les boĂźtes dâoptique jouent un rĂŽle essentiel. Bien plus, le miroir constellĂ© », dont les versions ultĂ©rieures feront un autre usage, prĂ©sente ici une fonction essentielle pour le voyeurisme de la BĂȘte. Une fois de plus, lâidentitĂ© de la Belle lui est dĂ©robĂ©e par celui qui ne peut se dĂ©finir que comme la non-identitĂ©, Ă la fois prĂ©sent et absent, dedans et dehors. Sâil est une violence faite Ă la Belle, câest bien lâoubli de soi. Le thĂšme du miroir exploitĂ© dâune autre façon par Madame Leprince de Beaumont accentue cet aspect du conte. 13Nous connaissons bien le rĂ©cit de Madame Leprince de Beaumont. Il a donnĂ© lieu Ă de nombreuses rĂ©appropriations, aussi bien Ă lâopĂ©ra que dans le colportage et la littĂ©rature enfantine, jusquâaux derniers dessins animĂ©s de Walt Disney. Contrairement Ă Madame de Villeneuve, Madame Leprince de Beaumont choisit un autre usage optique, le miroir qui devient un tableau vivant », pour mieux gĂ©rer le motif crucial du conte, celui oĂč lâhĂ©roĂŻne en proie Ă lâennui demande Ă retourner chez son pĂšre. Le miroir lui offre alors lâopportunitĂ© de justifier son dĂ©sir de fuite, puisquâil lui montre son pĂšre mourant entourĂ© de sa famille. Ce motif du miroir ne manque pas dâĂȘtre exploitĂ© dans les mises en scĂšne de lâopĂ©ra-comique de Marmontel et GrĂ©try, ZĂ©mire et Azor, créé en 1771. Cette reprĂ©sentation lyrique du conte met en scĂšne le fameux tableau magique ». Et cette scĂšne bĂ©nĂ©ficie dâun tel succĂšs quâelle se trouve rapidement diffusĂ©e par une gravure de Pierre-Charles Ingouf, dâaprĂšs une gouache de son frĂšre François-Robert cette estampe, Zemire et Azor, dĂ©diĂ© Ă Madame la Marquise de Montesse par son trĂšs humble et trĂšs obĂ©issant serviteur Elluin », convoque aussi le nom du graveur François Rolland Elluin, notoirement connu pour ses illustrations dâouvrages Ă©rotiques, sans que son intervention soit clairement avĂ©rĂ©e. 14 Fig. 1. â Gravure de ZĂ©mire et Azor par Pierre-Charles nationale de France. 10 CitĂ© par R. Legrand, La scĂšne et le public de lâOpĂ©ra-Comique de 1762 Ă 1789 », dans P. Vendrix ... 15Elle complĂšte avantageusement les indications de Marmontel dans son livret, fort sommaires quant au dĂ©cor Le théùtre reprĂ©sente un salon richement dĂ©corĂ© Ă la maniĂšre orientale. Des vases de fleurs entre les croisĂ©es10. » 16La gravure montre ZĂ©mire et Azor de part et dâautre dâun grand tableau rectangulaire reprĂ©sentant trois personnages Ă©plorĂ©s. Il sâagit en rĂ©alitĂ© dâun transparent. DerriĂšre le rideau de gaze, fortement Ă©clairĂ©e, la famille de ZĂ©mire chante un trio, accompagnĂ©e par un ensemble de vents placĂ© dans la coulisse. Il existe aussi un dessin Ă la plume montrant la mĂȘme scĂšne lors dâune reprĂ©sentation Ă Versailles. Le dĂ©cor, conçu par MaziĂšres, est un peu diffĂ©rent. Les murs sont scandĂ©s dâimposantes colonnes ioniques ; deux portes se trouvent dans des pans coupĂ©s ; le tableau magique sâinscrit dans un arc en plein cintre. De plus, la place des acteurs se situe sur lâavant-scĂšne, prĂšs de la rampe, alors que la gravure de Ingouf les montre proches du mur du fond. Il est Ă©vident ici que Ingouf a effectuĂ© une transposition qui ne doit rien aux exigences de la reprĂ©sentation théùtrale, comme le montre le dessin Ă la plume, plus proche peut-ĂȘtre de la rĂ©alitĂ© de la mise en scĂšne, tout au moins de la reprĂ©sentation versaillaise. Lâartiste supplĂ©e les rĂ©alitĂ©s scĂ©nographiques, lâesthĂ©tique de lâestampe ayant ses lois et ses usages propres. De ce fait, lâon ne peut savoir si Ingouf sâest inspirĂ© de la crĂ©ation parisienne et il est difficile dâen conclure que la reprise versaillaise fut diffĂ©rente quant aux dĂ©cors et Ă la mise en scĂšne il va de soi que, de ce point de vue, cette gravure ne peut prĂ©senter de vĂ©ritable intĂ©rĂȘt historiographique et ne nous donne que des indications imparfaites et tronquĂ©es sur la mise en scĂšne, les costumes et les dĂ©cors. En revanche, son statut de document historique lui vient dâun motif graphique qui ne peut laisser indiffĂ©rent Ingouf marque trĂšs nettement la continuitĂ© des boiseries, ininterrompues du parquet au miroir, comme sâil sâagissait dâun miroir sans tain. Aussi bien, la Belle ne peut-elle sây rĂ©flĂ©chir. La place des personnages, placĂ©s face au tableau magique » et ne sây rĂ©flĂ©chissant pourtant pas, la continuitĂ© des rainures dans le miroir, autant de motifs qui dĂ©notent le choix de production dâIngouf, celui de lâunitĂ© graphique et textuelle, Ă la diffĂ©rence du dessin Ă la plume qui nâest peut-ĂȘtre rien dâautre que la reprĂ©sentation de la reprĂ©sentation versaillaise. Cette configuration du miroir et des personnages est devenue, de toute Ă©vidence, le problĂšme essentiel auquel les Ă©diteurs se sont heurtĂ©s ce miroir qui ne rĂ©flĂ©chit rien, qui est le vide mĂȘme, comment le reprĂ©senter ? Comment colporter un spectacle optique ? 11 Voir la description de cette Ă©dition dans A. Morin, Catalogue descriptif de la BibliothĂšque bleue d ... 17Et de fait, les Ă©diteurs ont majoritairement pris parti pour la non-reprĂ©sentation. Le motif du pĂšre mourant vu dans le miroir magique, pourtant nĂ©cessaire Ă la bonne comprĂ©hension du conte, est absent de toutes les planches dâimages au xixe siĂšcle Charles Pellerin Ă Ăpinal Ă©dite La Belle et la BĂȘte, en lâassociant par deux fois Ă deux autres contes, Le Chat BottĂ© et Les Trois Souhaits, sans quâune seule fois ne soit illustrĂ©e la scĂšne du miroir. Cette absence est tout aussi criante chez Marcel VagnĂ©, Ă©diteur de lâImagerie de Pont-Ă -Mousson, et chez Olivier Pinot, Imprimeur-Lithographe de la Nouvelle Imagerie dâĂpinal. Si le colportage de la seconde moitiĂ© du xixe siĂšcle refuse clairement le thĂšme du reflet, la BibliothĂšque bleue des xviiie et xixe siĂšcles montre tout autant de rĂ©ticence le seul Ă©diteur dĂ©busquĂ© Ă ce jour qui se risque Ă cette reprĂ©sentation est F. Deckherr de MontbĂ©liard. Le recueil des Contes plaisants de la Belle et la BĂȘte, Le Prince Charmant et Les Trois Souhaits. Par M. Perrault, qui paraĂźt Ă MontbĂ©liard en 1822, est distribuĂ© par Madame Garnier de Troyes, rue du Temple11. Fig. 2. â Frontispice des Contes plaisants de la Belle et la BĂȘte, Le Prince Charmant et Les Trois Souhaits 1822. Collection privĂ©e. Le frontispice de cette Ă©dition, en regard de la premiĂšre page du texte, montre la Belle attablĂ©e avec la BĂȘte ; un miroir est accrochĂ© au mur. Lâombre projetĂ©e de cette glace est Ă©tonnamment dĂ©calĂ©e. De plus, selon le mĂȘme procĂ©dĂ© utilisĂ© par Ingouf, les rainures murales se prolongent au cĆur du miroir. Si cette illustration doit peut-ĂȘtre son origine Ă Ingouf, dont la gravure a Ă©tĂ© largement diffusĂ©e, il est possible aussi que le graveur de F. Deckherr se soit associĂ© Ă lâinterprĂ©tation de lâĂ©diteur anglais Lumsden & Son qui publie vers 1815 Ă Glasgow un chapbook livret de colportage, Beauty and the Beast. / A Tale. Fig. 3. â Gravure du Beauty and the Beast / A Tale 1815. Collection privĂ©e. Fig. 4. â Gravure du Beauty and the Beast / A Tale 1815. Collection privĂ©e. 12 L. Mannoni, Trois siĂšcles de cinĂ©ma. De la lanterne magique au CinĂ©matographe, Collections de la ci ... Assorti de six gravures, ce chapbook met en scĂšne lâĂ©pisode du miroir la glace ne rĂ©flĂ©chit pas la Belle et semble bien, lui aussi, sâintĂ©grer Ă lâenvironnement mural. La scĂšne du pĂšre malade entourĂ© de ses filles est pourtant bel et bien projetĂ©e. Mais un examen attentif de la gravure rend compte dâune Ă©trangetĂ© optique cette vision est destinĂ©e au lecteur. Le personnage de la Belle, placĂ© de cĂŽtĂ©, ne peut lâentrevoir. Le miroir fonctionne alors comme un Ă©cran sur lequel serait projetĂ©e, par derriĂšre, une image de format rectangulaire, qui pourrait passer pour une lithographie Ă transparences Ă©clairĂ©es par derriĂšre, ces lithographies, imprimĂ©es recto-verso, laissent apparaĂźtre une nouvelle image en surimpression de la premiĂšre ; elles trouvent leur place dans les boĂźtes dâoptique et dioramiques qui font fureur au xixe siĂšcle, mais aussi dans les boĂźtes dâoptique théùtrales » du xviiie siĂšcle qui nĂ©cessitent de disposer, Ă lâintĂ©rieur dâune caisse rectangulaire en bois, une longue sĂ©rie de dĂ©cors et de personnages en papier dĂ©coupĂ©12. Le chapbook nous offre, Ă nâen pas douter, un spectacle optique et mĂȘme si lâon peut Ă©galement envisager que le halo lumineux entourant la vision du pĂšre malade relĂšve de lâ aberration chromatique » propre aux lanternes magiques du xviiie siĂšcle, le chapbook nous impose ici un seul et unique systĂšme de comprĂ©hension du conte, celui qui lie optique et fantastique, optique et folklore. Une littĂ©rature de science-fiction 18Le thĂšme du reflet qui se trouve au centre du conte fait donc lâobjet de lâintrusion de lâoptique dans la structure narrative lâaccent est mis sur la perte dont la vision dans le miroir constitue un mĂ©diateur proprement fantastique. Un Ă©garement fondamental est alors théùtralisĂ© câest une angoisse dĂ©pourvue de qualifications morales qui gĂ©nĂšre les dĂ©cisions des personnages. Les auteurs, en particulier Madame de Villeneuve, construisent de ce fait leur rĂ©cit selon une structure en miroir », qui nâest pas seulement une prouesse technique. Le producteur lettrĂ© du conte met en scĂšne la perte mĂȘme, celle vĂ©cue par la BĂȘte avant sa rencontre avec la Belle, celle vĂ©cue par la Belle une fois la BĂȘte rencontrĂ©e, et alors Ă tout jamais liĂ©e Ă lâinvisibilitĂ©, Ă lâabsence de passĂ©, Ă lâoubli de soi, Ă lâabsence dâidentitĂ©. Une des caractĂ©ristiques les plus sensibles de ces contes lettrĂ©s consiste pour leurs auteurs Ă constituer une littĂ©rature fantastique qui aurait aussi des origines folkloriques lâappropriation des phĂ©nomĂšnes et des effets dâoptique se rĂ©vĂšle dans le thĂšme de la mise en prĂ©sence de deux images se mettant rĂ©ciproquement en question, dâoĂč il dĂ©coule une vue relativiste du monde. 13 J. Starobinski, La Relation publique, Paris, Gallimard, 1970 LâEmpire de lâimaginaire, A Jalon ... 14 M. Milner, La Fantasmagorie. Essai sur lâoptique fantastique, Paris, PUF, 1982, p. 9-38. 19Il est aussi naturel que lâinvention ou la popularisation de nouveaux dispositifs permettant dâaffiner ou de modifier la vision de lâĆil rĂ©el aient influĂ© sur les reprĂ©sentations que les producteurs et les rĂ©cepteurs de rĂ©cits folkloriques se sont faites alors du fonctionnement de cet Ćil mĂ©taphorique. Câest ainsi que lâinvention de nouvelles techniques permet non seulement de qualifier de nouvelles modalitĂ©s de lâimaginaire narratif mais aussi, dans une certaine mesure, de les promouvoir. Lâoptique permet aux phĂ©nomĂšnes mentaux mis en scĂšne dans le conte de se matĂ©rialiser sous forme de scĂšnes, de figures ou de tableaux que lâimage et le vocabulaire ont enregistrĂ©s13. Il nâest donc pas Ă©tonnant que les Ă©diteurs se soient, dans une certaine mesure, affiliĂ©s aux appropriations mondaines et lettrĂ©es. Ă leur tour, ils pouvaient matĂ©rialiser sur le plan graphique ce que lâauteur fixait par son registre sĂ©mantique et son Ă©laboration narrative. Que signifie alors la rencontre entre le fantastique et lâoptique, entre le folklore et lâoptique ? Il serait erronĂ© dâadopter une attitude positiviste face aux gravures des livrets de la BibliothĂšque bleue et des chapbooks Ă la mesure de celle dâIngouf, ces gravures ne rendent compte que trĂšs imparfaitement des prouesses techniques du moment. Ce nâest pas leur but, ni leur fonction. En revanche, des images aux effets optiques dĂ©routants apportent un surcroĂźt de signification au conte. Mieux elles dĂ©voilent les mondes parallĂšles, les diffĂ©rents tableaux vivants » dâun folklore multiple dans ses comprĂ©hensions. Comment ne pas prendre conscience alors que le conte se prĂ©sente sous lâespĂšce dâune superposition ou dâune disjonction dâespaces, et quâil se rĂ©invente, dâĂ©diteurs en lecteurs, par la grĂące des duplications ou de symĂ©tries des personnages, des anticipations ou des chevauchements spatio-temporels ? Et si le conte de La Belle et la BĂȘte restitue toutes les fantasmagories proposĂ©es par Robertson dans ses spectacles de lanterne magique, si le merveilleux scientifique qui le signifie est redevable aux inventions du fantascope », câest que, Ă lâaune de tous les rĂ©cits folkloriques, il ne rend pas compte dâune rĂ©alitĂ© cohĂ©rente et compacte. Mais il nây a pas que cela apparaĂźt ici trĂšs clairement le rĂŽle de supplĂ©ance que le spectacle optique a jouĂ© chez les publics de Robertson comme chez les lecteurs de Deckherr en France et de Lumsden & Son en Angleterre, autant dâĂ©diteurs qui se font ici les relais des producteurs mondains des contes. En effet, câest au moment oĂč la question de la croyance est le plus vivement dĂ©battue dans les milieux lettrĂ©s que lâon choisit dâexploiter lâimage optique dans la littĂ©rature et le théùtre. Lâon joue sur lâinstallation dâune incertitude perceptive, faite Ă la fois dâadhĂ©sion et de dĂ©nĂ©gation le conte peut alors intĂ©grer les effets optiques Ă sa thĂ©matique14. Le merveilleux fin-de-siĂšcle » 15 J. de Palacio, Les perversions du merveilleux, Paris, SĂ©guier, 1993 ; Figures et formes de la dĂ©cad ... 20Dans ses travaux fondateurs sur le merveilleux fin-de-siĂšcle15 », Jean de Palacio dĂ©montre brillamment que la perversion et la subversion du merveilleux sâexhibent avant tout comme une pratique de composition et dâĂ©criture. Dans la mesure oĂč un conte se construit selon des lois narratives bien dĂ©finies, pervertir un conte, câest attenter Ă son sens, Ă son esprit et Ă sa lettre. Câest Ă©crire Ă rebours dâune tradition bien attestĂ©e, reprĂ©sentĂ©e ici par les Contes de Perrault. Câest faire violence aux attendus du conte. Câest aussi privilĂ©gier la partie aux dĂ©pens du tout, ĂȘtre infidĂšle aux proportions, grossir le dĂ©tail minuscule, dĂ©naturer les mobiles, brouiller les rĂŽles, abĂątardir le langage. Câest enfin inverser le beau et le laid, le bien et le mal, de façon durable et permanente. Tous les repĂšres habituels au lecteur de contes sont bouleversĂ©s. Parmi dâautres, il existe une maniĂšre de subvertir le conte câest dâen inventer la suite. Cette tentation a toujours existĂ© et la DĂ©cadence ne lâinvente pas. Mais il convient de distinguer entre le dĂ©sir de continuer une Ćuvre laissĂ©e inachevĂ©e par la mort de son auteur et celui de rouvrir indĂ»ment un systĂšme clos ou considĂ©rĂ© comme tel. La seconde moitiĂ© du xixe siĂšcle a multipliĂ© cette pratique. Or, par dĂ©finition, la suite relĂšve de lâimitatio et non de lâinventio. Elle est de lâordre de la rĂ©pĂ©tition et du plagiat, mais câest un plagiat proclamĂ© qui ne cherche pas Ă cacher ses origines. Dans la mesure oĂč le continuateur sâoppose au crĂ©ateur, il est un homme de DĂ©cadence. La suite fait violence Ă la clĂŽture, ouvre une brĂšche dans un espace textuel rĂ©putĂ© parfait, affuble une Ćuvre dâattendus, un hĂ©ros dâune postĂ©ritĂ© qui ne peut que les travestir. Lâexploitation Ă outrance des archĂ©types ne saurait alors aboutir quâĂ des stĂ©rĂ©otypes. 16 L. LespĂšs, Les Contes de Perrault continuĂ©s par ThimothĂ©e Trimm, illustrĂ©s par Henry de Montaut, Pa ... 17 Ibid. 18 Ibid. 21Par contrecoup, avec effet rĂ©troactif, le texte fondateur se trouve atteint par cette pratique. Sâil est gros de toutes les dĂ©rives et de tous les ressassements quâon lui impose, câest quâil Ă©tait lui-mĂȘme impur et portait les germes de sa propre dĂ©cadence. La densitĂ© de lâoriginal risque de pĂątir du travail parasite des continuateurs. Il apparaĂźt ainsi anachronique ou pĂ©rimĂ© dans les remises successives au goĂ»t du jour. Le Code NapolĂ©on est appliquĂ© aux FĂ©es et aux GĂ©nies pour la premiĂšre fois », proclame LĂ©o LespĂšs, lâauteur des Contes de Perrault continuĂ©s par TimothĂ©e Trimm16. Face Ă la naĂŻvetĂ© du texte initial, le continuateur se donne pour un esprit Ă©clairĂ©, un exĂ©gĂšte lucide, un moderne. Il Ă©crit afin que lâesprit des petits lecteurs ne soit pas Ă©garĂ© par la jurisprudence de MĂ©lusine et de lâenchanteur Merlin, tombĂ©e depuis longtemps en dĂ©suĂ©tude17 ». Descendant le cours du temps, la suite entraĂźne un changement de registre qui est lâessence mĂȘme de la perversion, puisquâil revient Ă dĂ©naturer les intentions du texte fondateur en lui prĂȘtant des mobiles quâil nâavait jamais eus et un langage quâil ne pouvait tenir, et tout en feignant de conserver des conventions anciennes dĂ©sormais en porte-Ă -faux. Par sa nature mĂȘme, le merveilleux a tout Ă perdre de ces remaniements. Il se voit, par une confusion volontaire, assimilĂ© Ă la littĂ©rature sĂ©rieuse », ce qui permet ainsi Ă LespĂšs de justifier son Perrault renouvelĂ© On a bien fait des suites Ă lâIliade, aux Ćuvres de Balzac, aux tragĂ©dies inachevĂ©es de Racine, les nains ne sont pas plus Ă lâabri de ce danger que les grands hommes18. » 19 Willy, MĂ©comptes de fĂ©es », Une passade, Paris, Flammarion, 1894. 22Câest avant tout la notion dâĂ©pilogue que les Ă©crivains de la DĂ©cadence ont remis en question. Ils ont moquĂ© chez Perrault le recours optimiste, en Ă©pilogue, aux grandes consolations morales. Mais il nây a pas que cela ces entreprises de réélaboration manifestent une volontĂ© dâabolir un prĂ©jugĂ© lâorigine mĂȘme des contes, cette oralitĂ© vive et inventive dâun conteur dont la performance, publique, serait avant tout un exercice dâautoritĂ©. Ces suites, ces mĂ©comptes de fĂ©es19 », tĂ©moignent en fait dâune rĂ©volte et dâun coup de force littĂ©raires le conte est remaniĂ© de façon Ă devenir un genre lettrĂ© parmi dâautres et il convient alors que lâauteur â un auteur parmi dâautres auteurs de nouvelles ou de romans â cherche Ă piquer la curiositĂ© anxieuse du lecteur incertain de ce qui est arrive comme de la maniĂšre de lâinterprĂ©ter. Comme dans un roman, lâauteur de conte de la DĂ©cadence entraĂźne le lecteur dans la dĂ©couverte progressive dâun caractĂšre et dâune situation. Comme dans un roman, il dispense juste ce quâil faut dâinformations pour relancer lâintĂ©rĂȘt du lecteur, pas assez cependant pour diminuer sa perplexitĂ©. Le conteur ne cache rien Ă son auditoire et rien nâassure vraiment quâil ne sâagisse pas lĂ dâune stratĂ©gie destinĂ©e Ă camoufler le pouvoir de sa parole en action. Lâauteur de la DĂ©cadence, en revanche, Ă©vite au lecteur de prĂ©cipiter ses interprĂ©tations et, de ce fait, lâassocie au travail de lâĆuvre. Et si nous nous trouvions devant une entreprise de dĂ©mocratisation du conte ? Face Ă ce coup de force lettrĂ©, quelle fut la rĂ©ponse des imagiers ? Histoire de Madame Barbe-Bleue 20 Pour mĂ©moire, voici lâĂ©pilogue de la planche no 1102 de lâImagerie Pellerin dâĂpinal Histoire de la ... 23Lâune des astuces imaginĂ©es par les auteurs de la DĂ©cadence pour donner suite aux contes consiste Ă tirer parti des liens de famille sont alors racontĂ©es les histoires de la sĆur du Petit Poucet ou des enfants de la Belle au bois dormant. Les imagiers en font tout autant. En 1862, lâImagerie Pellerin dâĂpinal publie lâHistoire de Madame Barbe-Bleue planche no 1229. Veuve dâun Barbe-Bleue blessĂ© par les frĂšres de lâhĂ©roĂŻne, puis jugĂ© et condamnĂ© Ă ĂȘtre brĂ»lĂ© Ă Nantes, Madame Barbe-Bleue, prĂ©nommĂ©e Alix, sâen va en Palestine travestie en chevalier afin de prier pour le repos de lâĂąme de son Ă©poux. Le page qui lâaccompagne trouve la mort en chemin et elle prend le temps de lui donner une sĂ©pulture. DĂšs lors, le fantĂŽme du jeune page lâaccompagne en permanence. Elle est faite prisonniĂšre Ă Tunis Ă la suite dâun naufrage. ZĂ©naĂŻde, la fille du Bey, favorise son Ă©vasion et Alix en profite pour la convertir. Mais seule Alix parvient Ă sâenfuir car ZĂ©naĂŻde est reprise par les soldats de son pĂšre. Le Bey organise alors un tournoi et offre la main de sa fille au vainqueur qui nâest autre quâAlix. ObligĂ©e dâavouer son sexe, Alix doit affronter la colĂšre du Bey qui mĂ©dite sa vengeance. Pendant la nuit, le fantĂŽme du page permet Ă Alix et ZĂ©naĂŻde de sâenfuir. Elles vont Ă JĂ©rusalem accomplir le vĆu dâAlix puis reviennent en Bretagne, rĂ©pandant des bienfaits sur leur passage. Une fois de retour, Alix crĂ©e un monastĂšre oĂč, aidĂ©e de sa compagne, elle secourt les familles des victimes de Barbe-Bleue. Elles bĂ©nĂ©ficient dâune longue vie consacrĂ©e Ă prier pour lâĂąme de Barbe-Bleue et meurent toutes deux ensemble, emportant les bĂ©nĂ©dictions de toute la contrĂ©e20 ». 24 Fig. 5. â Planche no 1229, Histoire de Madame planche dâimages est une des plus passionnantes quâil mâait Ă©tĂ© donnĂ© dâanalyser elle est le produit dâun mĂ©tissage narratif si dense, si riche, si complexe quâelle doit ĂȘtre lue avant tout comme la preuve, sâil en Ă©tait encore besoin, de lâintervention inventive des imagiers dans la chaĂźne de crĂ©ation et de transmission des contes. Comme tout conteur populaire », lâimagier bricole les rĂ©cits tout en sachant respecter la structure gĂ©nĂ©rique du conte. Existe-t-il une formule propre Ă Pellerin ? Apparemment, il use dâune mĂ©thode crĂ©atrice qui exploite la translation, lâamalgame, la reprise, la dĂ©rive, le regroupement. Dans ce cas, lâHistoire de Madame Barbe-Bleue compose des variations sur un thĂšme dĂ©jĂ donnĂ©. Mais ne va-t-il pas plus loin ? Gilles de Rais 21 E. Bossard, Gilles de Rais, MarĂ©chal de France dit Barbe-Bleue, Paris, H. Champion, 1885, rééd. Gre ... 26DâemblĂ©e, dĂšs les deux premiĂšres vignettes, la planche de Pellerin renvoie Ă lâhistoire de Gilles de Rais Barbe-bleue blessĂ© par les frĂšres de son Ă©pouse, fut amenĂ© Ă Nantes liĂ© et garrottĂ©. LĂ , on lui fit son procĂšs ; il fut brĂ»lĂ© vif, dans une prairie aux portes de la ville. » En 1862, il nâest pas encore de bon ton de renvoyer dos Ă dos les deux personnages, comme les deux figures dâun mĂȘme criminel câest plus tard, en 1885, quâEugĂšne Bossard publie une monographie devenue cĂ©lĂšbre, consacrĂ©e au marĂ©chal de France, Gilles de Rais, MarĂ©chal de France dit Barbe-Bleue Lâhistoire nous prĂ©sente Gilles de Rais tel quâil fut devant ses juges ; la tradition tel quâil apparaĂźt aux yeux du peuple21. » Mais en rĂ©alitĂ©, lâartisan de la mise en concurrence du mythe historique et du conte, câest Michelet en 1862 prĂ©cisĂ©ment, il publie La SorciĂšre 22 J. Michelet, La SorciĂšre, Paris, 1862, rééd. Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p. 64. Ces contes ont une partie historique, rappellent les grandes famines dans les ogres, etc.. Mais gĂ©nĂ©ralement ils planent bien plus haut que toute lâhistoire, sur lâaile de lâOiseau bleu, dans une Ă©ternelle poĂ©sie, disent nos vĆux, toujours les mĂȘmes, lâimmuable histoire du cĆur. Le dĂ©sir du pauvre serf de respirer, de reposer, de trouver un trĂ©sor qui finira ses misĂšres, y revient souvent. [...] Une tendresse infinie est dans tout cela. Cette Ăąme enchantĂ©e ne pense pas Ă elle seule. Elle Ă©tend sa compassion sur la dame mĂȘme du chĂąteau, la plaint dâĂȘtre dans les mains de ce fĂ©roce baron Barbe-Bleue22. 27Il Ă©voque donc le conte comme lâaspiration touchante dâun peuple en souffrance. Les larmes du monstre qui reconnaĂźt sa laideur appellent une tendresse infinie » et la femme du serf prend en pitiĂ© la derniĂšre Ă©pouse du redoutable Barbe-Bleue, au croisement du cĆur et de lâhistoire. AprĂšs avoir briĂšvement Ă©voquĂ© les barbaries perpĂ©trĂ©es complaisamment par lâĂglise, Michelet poursuit 23 Ibid., p. 70. Que devaient ĂȘtre les seigneurs laĂŻques ? Quel Ă©tait lâintĂ©rieur de ces noirs donjons que dâen bas on regardait avec tant dâeffroi ? Deux contes, qui sont sans nul doute des histoires, La Barbe Bleue et GrisĂ©lidis, nous en disent quelque chose. QuâĂ©tait-il pour ses vassaux, ses serfs, lâamateur de tortures qui traitait ainsi sa famille ? Nous le savons par le seul Ă qui lâon ait fait un procĂšs, et si tard ! Au quinziĂšme siĂšcle Gilles de Retz, lâenleveur dâenfants23. 28Michelet lance ainsi Gilles de Rais dans une bataille littĂ©raire qui sâachĂšve en 1909 avec les Sept Femmes de la Barbe Bleue dâAnatole France lĂ oĂč Michelet prĂ©sentait des doutes, le romancier avance des certitudes. France replace lâHistoire, le mythe et le conte dans un mĂȘme souffle, une mĂȘme inspiration. Il rĂ©concilie le romanesque et lâhistorique, et la notoriĂ©tĂ© du mĂ©chant seigneur de Rais rencontre une audience toujours plus grande. Face Ă la nouvelle gloire du marĂ©chal, devant les charniers dâenfants que lâimagination compte dĂ©sormais par dizaines, que sont quelques malheureuses Ă©gorgĂ©es ? 29Faut-il en dĂ©duire quâĂ Ăpinal, Pellerin est sensible au texte de Michelet, quâil anticipe cette vague littĂ©raire parisienne qui fera de Barbe-Bleue le concurrent malheureux de Gilles de Rais â et vice versa ? Rien nâest moins sĂ»r. Car Pellerin dispose dâune source beaucoup plus abordable son confrĂšre parisien Charles-EugĂšne GlĂ©marec a imprimĂ© en 1858, soit quatre ans avant la publication de La SorciĂšre, une planche dâimages LâHistoire de la Barbe Bleue conte des fĂ©es qui comporte un paragraphe explicatif, fait rarissime dans lâimagerie 24 CitĂ© par A. Renonciat, art. citĂ©, p. 117. Planche no 146. Le fonds de ce conte est historique. Voici les documents qui servirent Ă Perrault pour composer cette fiction. [...] En plusieurs occasions, Gilles de Retz avait donnĂ© des manifestations de bravoure, mais il avait dĂ©plu Ă Philippe, Duc de Bourgogne, qui Ă©tait tout-puissant. LâĂ©vĂȘque de Nantes, voulant faire sa cour Ă Philippe, cita Ă son tribunal le MarĂ©chal de Retz. Des tĂ©moins dĂ©posĂšrent quâil avait Ă son service des enchanteurs pour trouver des trĂ©sors et que, pour ses enchantements, il employait le sang des jeunes filles quâil faisait Ă©gorger. On le condamna Ă ĂȘtre brĂ»lĂ© vif. Son bĂ»cher fut dressĂ© dans une prairie, nommĂ©e prairie de Mauves, prĂšs de la ville24. 30Libraire-Ă©diteur, graveur, lithographe et fabricant dâimages, Ă©diteur et marchand dâestampes » selon les documents quâil signe, GlĂ©marec a exercĂ© Ă Paris de 1845 Ă 1860. InstallĂ© rue de la Harpe, puis quai du MarchĂ©-Neuf, enfin quai des Augustins et rue Saint-Jacques oĂč il rĂ©unit librairie et atelier, il est reconnu comme le plus grand imagier parisien de son temps. Son entreprise est florissante dĂšs 1845 puisquâil rĂ©ussit Ă racheter les bois de Pierre-François Godard dâAlençon, graveur sur bois dont la notoriĂ©tĂ© dĂ©passe la Normandie et qui sâest fait une spĂ©cialitĂ© des Fables dâĂsope et de La Fontaine. Le talent artistique et lâopportunisme financier et politique de GlĂ©marec lui permettent de constituer un fonds de gravures aussi riche quâĂ©clectique des planches de contes et de fables, des fĂ©eries telles que ce Barbe-bleue, ou la FĂ©e Perruchette avec changements Ă vue, des mĂ©tamorphoses, des apparitions fantastiques, des danses, dĂ©cors et costumes nouveaux », des almanachs, des calendriers bonapartistes, des caricatures rĂ©volutionnaires en 1848, ou encore le VĂ©ritable Portrait du Juif Errant. Ă ce stade de lâenquĂȘte, une question reste en suspens Ă quelle source a-t-il donc puisĂ© lâargument historique qui associe Barbe-Bleue Ă Gilles de Rais ? Petite Histoire Nantaise Ă Cinq Centimes » 25 Petite Histoire Nantaise Ă Cinq Centimes. La VĂ©ritable Histoire du Barbe-Bleue Nantais ou du MarĂ©ch ... 26 Ibid., p. 1. 31Câest en 1841 quâest imprimĂ©e Ă Nantes par Camille Mellinet La VĂ©ritable Histoire du Barbe-Bleue Nantais ou du MarĂ©chal de Retz25. Ce petit livret de huit pages fait partie de la collection Petite Histoire Nantaise Ă Cinq Centimes » et il est conseillĂ© de conserver ces petits cahiers, dont la publication va continuer, chacun pourra en former plus tard un ou plusieurs volumes ». Câest Ă ma connaissance la toute premiĂšre occurrence dâune association Ă©crite du personnage de Barbe-Bleue avec celui de Gilles de Rais. Ce nâest point un conte fait Ă plaisir câest de lâhistoire Ă©crite par un greffier du xve siĂšcle », nous dit lâintroduction. Ce personnage effrayant [âŠ] a acquis une immense cĂ©lĂ©britĂ© sous le nom de Barbe-Bleue. â Oui, ce terrible Barbe-Bleue, dont la vie a Ă©tĂ© arrangĂ©e en un conte pour les enfants, a vĂ©ritablement existĂ©, et câest dans la ville de Nantes quâil a reçu la punition de ses forfaits26. » Sâil est question de la bravoure de Gilles pendant la Guerre de Cent Ans, de son dĂ©vouement Ă Jeanne dâArc, lâauteur insiste aussi sur sa fortune, la magnificence de ses banquets et, bien entendu, sur la disparition des enfants Ă©gorgĂ©s â surtout des jeunes filles. Lâamalgame des deux histoires sâopĂšre avec talent, associant les motifs de lâune Ă ceux de lâautre, tel que cette belle barbe, toujours arrangĂ©e avec soin, qui avait une sorte de reflet bleuĂątre, soit naturel, soit par lâeffet des essences quâil employait ». LâĂ©pilogue est particuliĂšrement intĂ©ressant Le 26e jour du mois dâoctobre, au milieu dâune procession gĂ©nĂ©rale, Gilles de Retz fut conduit au supplice sur la prĂ©e de la Magdelaine, avec ses complices, au nombre de deux, et les trois tĂȘtes tombĂšrent en juste expiation de tant de crimes. Le corps de Gilles de Retz fut conduit Ă lâĂ©glise des Carmes. Pas de bĂ»cher donc, mais une dĂ©capitation. Et ces quelques lignes conclusives viennent Ă la suite 27 Ibid., p. 8. Suivant lâusage du temps [dit un historien], les pĂšres et mĂšres de famille qui avaient entendu sa confession, jeĂ»nĂšrent trois jours pour lui mĂ©riter la misĂ©ricorde divine, et infligĂšrent Ă leurs enfants la peine du fouet, afin quâils gardassent dans leur mĂ©moire le souvenir de ce chĂątiment terrible. Une croix de pierre fut Ă©levĂ©e sur lâemplacement du bĂ»cher oĂč avait pĂ©ri Gilles de Retz. Une chapelle la remplaça, et on en voit encore des vestiges Ă lâentrĂ©e de la chaussĂ©e de lâHĂŽpital, prĂšs le portail de lâHĂŽtel-Dieu de ce cĂŽtĂ©, oĂč sâapercevait naguĂšres une niche dans laquelle se trouvait la Sainte-Vierge entre Saint-Gilles et Saint-Laud. Cette image a Ă©tĂ© longtemps connue sous le nom de la Bonne Vierge de CrĂ©elait. â Câest le dernier souvenir du Barbe-Bleue nantais27. 32Entre la dĂ©capitation et le bĂ»cher, sur lequel pĂ©rirent effectivement brĂ»lĂ©s Gilles de Rais et ses deux valets, lâauteur hĂ©site les derniĂšres deux piĂšces du puzzle, jusque-lĂ infaillible, ne sâemboĂźtent pas. Plus de vingt ans plus tard, Ă Ăpinal, Pellerin fait son choix, Ă©trangement renversĂ© ce sera le bĂ»cher mais celui qui y meurt est Barbe-Bleue. Et câest Madame Barbe-Bleue, Alix, qui incarne Ă elle seule les pĂšres et les mĂšres de famille » et qui, repentante en lieu et place de la Bretagne, bĂątisseuse dâun refuge monacal, reprend Ă son compte les dĂ©votions du pays nantais Ă la mĂ©moire de Gilles de Rais. Fig. 6. â Vignette extraite de la planche no 1229 tirĂ©e de l'Histoire de Madame Barbe-Bleue. Collection privĂ©e. Fig. 7. Vignette extraite de la planche no 1229 tirĂ©e de l'Histoire de Madame Barbe-Bleue. Collection privĂ©e. 33Quelques mots sur Camille Mellinet, lâimprimeur nantais de La VĂ©ritable Histoire du Barbe-Bleue Nantais imprimeur, journaliste, historien, engagĂ© dans les milieux rĂ©publicains malgrĂ© sa passion pour la Chouannerie, il prend la tĂȘte en 1820 de la maison dâĂ©dition fondatrice du premier journal dâopinion nantais. Il dĂ©veloppe lâentreprise au point oĂč il peut fonder plusieurs revues littĂ©raires et scientifiques. Câest lui qui donne Ă lâethnologue breton Ămile Souvestre son premier emploi Ă Nantes et qui lui permet de sâimpliquer dans la vie culturelle de la ville. Il publie deux de ses recueils poĂ©tiques et participe Ă ses toutes premiĂšres collectes de contes. Proches lâun et lâautre du saint-simonisme, ce qui conduira Souvestre Ă soutenir la RĂ©volution de 1848, ils tentent dâassocier leur engagement pour une utopie sociale et leur attachement Ă une autonomie rĂ©gionaliste. DĂ©cĂ©dĂ© en 1843, Camille Mellinet laisse une partie de son fonds Ă Pierre-François Godard dâAlençon qui a travaillĂ© dans sa maison dâĂ©dition nantaise Ă ses dĂ©buts. Lâon peut supposer que les livrets de la Petite Histoire Nantaise Ă Cinq Centimes sây trouvaient. LâenquĂȘte Ă©ditoriale finit donc ici Pellerin se fait donc lâhĂ©ritier de ces imprimeurs, de Mellinet de Nantes Ă Godard dâAlençon, de Godard dâAlençon Ă GlĂ©marec de Paris. Son Ćuvre excĂšde largement les habituelles pratiques dâintervention sur le thĂšme de rĂ©fĂ©rence, que les historiens de lâillustration ont identifiĂ©es en terme de dĂ©tournement, de subversion, de manipulation, dâexploitation, de trahison, etc. Sa crĂ©ativitĂ© va aussi bien au-delĂ des notions de suite, de fantaisie, de variation, que lâon situe dans les registres sĂ©mantiques du relais, du jeu ou de la composition musicale. Car Pellerin ne se contente pas de broder sur un thĂšme, broderies qui seraient inscrites dans le processus mĂȘme de lâĆuvre. Lâon a pu dire jusque-lĂ quâĂ partir dâun texte-matrice destituĂ© de son statut littĂ©raire, les imagiers intervenaient sur le conte pour suggĂ©rer leur fantaisie inventive et porter lâaccent sur leurs stratĂ©gies de diversification des images. Pellerin fait beaucoup plus que cela tout dâabord, son histoire est si chrĂ©tienne, si Ă©difiante et si ostensiblement moralisatrice quâelle devient un texte de propagande conservatrice â et ce faisant il prend le contre-pied de ses devanciers breton, normand et parisien. Ensuite, Pellerin transcrit un autre conte. Alis de Bourges 28 Il est probable que lâorigine du prĂ©nom Alix soit aussi historique la seconde fiancĂ©e de Gilles d ... 34En effet, lâHistoire de Madame Barbe-Bleue existe depuis longtemps, en un temps oĂč lâhĂ©roĂŻne sâappelait Alis et non Alix28. Elle Ă©tait lâĂ©pouse dâHerpin de Bourges, baron de Charlemagne. Bannie avec son mari de la cour, elle est enlevĂ©e par des brigands ; elle leur Ă©chappe et se travestit en homme, embarque pour la Terre Sainte, dans lâespoir dây retrouver Herpin. Sur le chemin et aprĂšs bien des rebondissements, elle est engagĂ©e comme aide-cuisinier de lâĂ©mir de Castille. Elle prend le nom de Ballian dâAragonne, apprend lâarabe et travaille pendant dix-huit ans dans les cuisines de lâĂ©mir de TolĂšde. La ville est assiĂ©gĂ©e par un gĂ©ant qui se vante de pouvoir affronter six hommes ensemble. Personne nâose relever le dĂ©fi sauf Ballian-Alis qui a appris, en rĂȘve, que JĂ©sus lâa choisie pour abattre le gĂ©ant. Elle sâacquitte de sa mission. Florie, la fille de lâĂ©mir de TolĂšde, tombe amoureuse du vaillant Ballian. Tout dâabord embarrassĂ©e puis sĂ©duite, Alis ne cĂšde pas Ă la tentation ; elle lui avoue son identitĂ© et sâenfuit. Florie est accusĂ©e par son pĂšre de lâavoir tuĂ©e mais des magiciens parviennent Ă convaincre lâĂ©mir de lâinnocence de sa fille. Au final, mari et femme sont rĂ©unis. 29 Lion de Bourges Ms BNF fr. 22555, W. W. Kibler, Picherit et Th. Fenster Ă©ds, GenĂšve, Droz ... 30 C. Velay-Vallantin, La fille en garçon, Carcassonne, Garae/HĂ©siode, 1992. 31 C. Cazanave, DâEsclarmonde Ă Croissant. Huon de Bordeaux, lâĂ©pique mĂ©diĂ©val et lâesprit de suite, B ... 32 M. Perret, Travesties et transsexuelles Yde, Silence, Grisandole, Blanchandine », Romance Notes... 35Cette histoire est lâintroduction de la chanson de geste Lion de Bourges, composĂ©e aux alentours de 1350, en langue picarde29. Le thĂšme de la femme travestie en homme est un des types folkloriques les plus rĂ©pandus et les plus prolifiques que lâon puisse rencontrer30. Au Moyen Ăge, les personnages dâYde, Silence, Grisandole, Blanchandine sont les plus connus de cette production. Le costume est alors un Ă©lĂ©ment de reconnaissance important. On exige des vĂȘtements et des accessoires qui les accompagnent de signaler le sexe et la condition de lâĂȘtre qui les arbore. Câest pourquoi, dans les Ćuvres poĂ©tiques, quand une femme emprunte des vĂȘtements masculins pour dissimuler son identitĂ© et pouvoir voyager Ă son aise, elle brave un fort interdit social. Les travesties choisissent de prendre des habits dâhomme, ou plus prĂ©cisĂ©ment dâemprunter lâapparence et lâĂ©quipement dâun chevalier, pour fuir ou pour rechercher leur mari â comme câest le cas dâAlis ou encore de la Josiane de Beuve de Hantone. Dans cette production Ă©pique, exprimer le dĂ©sir de remplir, en armure de chevalier, un rĂŽle de dĂ©fense efficace pour protĂ©ger une citadelle ou bien lâhonneur dâune jeune fille, est une volontĂ© lĂ©gitime qui a vite passĂ© pour naturelle et fĂ©minine. Au fur et Ă mesure que le moule des rĂ©cits dâenfance » sâest communiquĂ© de la sphĂšre des petits chevaliers Ă celle des petites hĂ©roĂŻnes, la logique de contamination progressive a entraĂźnĂ© une programmation de la structure narrative qui prĂ©voit pour une fille en fuite un dĂ©guisement, des exploits guerriers et un beau mariage sur ce schĂ©ma de base les Ă©pisodes nâont plus quâĂ devenir plus ou moins dĂ©veloppĂ©s31. Quâil sâagisse de Lion de Bourges ou de bien dâautres chansons de geste mettant en scĂšne des femmes travesties, toutes les meschinations » sont bonnes pour crĂ©er des situations ambiguĂ«s, oĂč lâhomosexualitĂ© est toujours suggĂ©rĂ©e32. La carte dâun Tendre Ă©quivoque est dâautant plus jouĂ©e que les hĂ©roĂŻnes, entre deux sĂ©ances de dĂ©shabillage, de troubles frĂŽlements et dâattachements lesbiens, sont vertueuses, dispensatrices de bienfaits charitables et propagandistes dâune foi inĂ©branlable. Fig. 8. â Vignette extraite de la planche no 1229 tirĂ©e de l'Histoire de Madame Barbe-Bleue. Collection privĂ©e. Fig. 9. â Vignette extraite de la planche no 1229 tirĂ©e de l'Histoire de Madame Barbe-Bleue. Collection privĂ©e. Fig. 10. â Vignette extraite de la planche no 1229 tirĂ©e de l'Histoire de Madame Barbe-Bleue. Collection privĂ©e. 36De tous les rĂ©cits chargĂ©s de ce thĂšme florissant, Lion de Bourges est sans conteste celui dont la structure narrative se rapproche le plus de la planche de Pellerin. Quant au couple dâAlix et de ZĂ©naĂŻde, il reproduit Ă lâĂ©vidence celui dâAlis et de Florie. Long et savant, composĂ© en alexandrins et en octosyllabes, ce texte de langue picarde pouvait-il ĂȘtre connu de lâimagier ? Aurait-il consultĂ© une Ă©dition rĂ©sumĂ©e en français ? Une version orale lui serait-elle parvenue ? Le maillon manquant ne nous est pas connu mais il a existĂ©, sans nul doute. Cette hypothĂšse est validĂ©e par une production plus tardive dâun auteur de la DĂ©cadence. En 1912, Gabriel Salvat publie La Barbe Bleue GisĂšle, la nouvelle Ă©pouse de Barbe-Bleue, prend le nom dâAlain et se travestit en mĂ©nestrel pour entreprendre le voyage qui la mĂšnera au chĂąteau oĂč elle espĂšre convertir le monstre en toute sĂ©curitĂ©. Mais câĂ©tait sans compter avec lâattraction quâil Ă©prouve pour les jeunes garçons 33 G. Salvat, La Barbe-Bleue, Paris, Bernard Grasset, 1912, p. 67. Alors la Barbe-Bleue la saisit par les poignets et lâattira Ă lui. Il approcha du sien son visage stupĂ©fait. Ses regards pĂąles descendirent lentement dans la profondeur de ses yeux. Et il se parlait Ă lui-mĂȘme en Ă©voquant des souvenirs â Ces yeux, murmurait-il, ont des regards de femme... de la grĂące, de la douceur... Des clartĂ©s familiĂšres, Ă©teintes depuis longtemps, sây rallument et brillent, puis sâĂ©teignent Ă nouveau pour renaĂźtre encore... Pas encore mortes, pas encore oubliĂ©es... Ă©ternellement prĂ©sentes... Alain, qui donc es-tu33 ? 37InitiĂ©s par lâambivalence sexuelle de son Ă©pouse, les tourments fantastiques de Gilles de Rais ressurgissent ils murmurent Ă lâoreille de Barbe-Bleue. Depuis quâun imprimeur nantais les a mis en composition, ils nâont jamais cessĂ© dâĂȘtre. Conclusion 34 C. Velay-Vallantin, Le miroir des contes. Perrault dans les BibliothĂšques bleues », dans R. Chart ... 35 R. Chartier, Histoire, littĂ©rature et pratiques. Entre contraintes transgressĂ©es et libertĂ©s brid ... 38En 1987, je tentais de comprendre les formes de libertĂ© prises par les imagiers Ă lâĂ©gard des contes de rĂ©fĂ©rence non comme un avatar littĂ©raire, mais comme un mode spĂ©cifique dâappropriation dâun texte hybride, tout Ă la fois Ćuvre dâĂ©crivain et classique du folklore et de lâoralitĂ©. Il sâagissait pour moi dâanalyser comment cet artisanat de lâimage qui connaissait alors, au xixe siĂšcle, un si profond renouvellement de ses publics et de ses fonctions traditionnelles, pouvait opĂ©rer une rĂ©cupĂ©ration de son patrimoine propre, exportĂ© par Perrault dans le monde lettrĂ©34. LâĂ©tude des deux cas que je viens dâeffectuer me permet de redire quâil existe, dans un mĂȘme mouvement, une spĂ©cificitĂ© des pratiques crĂ©atives des imagiers, et une autoritĂ© et une autonomie des images dans les processus de transmission du patrimoine culturel traditionnel. Mais la question que je pose aujourdâhui est autre peut-on encore parler dâappropriation ? Lâimagier a-t-il vraiment cherchĂ© Ă rĂ©cupĂ©rer un patrimoine quâil aurait identifiĂ© et reconnu comme initialement sien ? Cela occulte trop facilement cette part complexe de crĂ©ation qui sâĂ©labore entre contraintes transgressĂ©es et libertĂ©s bridĂ©es35 ». Contre une analyse qui suppose lâasservissement de lâimagier et de son public aux messages inculquĂ©s, il faut rappeler que la rĂ©ception est crĂ©ation, et la consommation production. Mais aussi, contre la perspective inverse qui postule lâabsolue libertĂ© des individus et la force des imaginations sans limites, il faut rappeler que toute crĂ©ation est enserrĂ©e dans des conditions de possibilitĂ© historiquement variables et socialement inĂ©gales. Au cĆur de ce croisement paradoxal, un Ă©cheveau de contes sans fin dĂ©roule ses fils bigarrĂ©s, tous marquĂ©s par le sceau de la singularitĂ©, de lâĂ©cart et de lâanomalie. Top of page Notes 1 A. van Gennep, Remarques sur lâimagerie populaire », Revue dâEthnographie et de Sociologie, Paris, Ernest Leroux, no 1-2, 1911, t. II, p. 26-50. 2 Ibid., p. 26. 3 Ibid., p. 43. 4 A. Renonciat, Et lâimage, en fin de conte ? Suites, fantaisies et variations sur les contes de Perrault dans lâimagerie », Romantisme, no 78, 1992, p. 103-126. 5 Ibid., p. 103. 6 Ibid. 7 Madame de Villeneuve, La Belle et la BĂȘte », Le Cabinet des fĂ©es, ou Collection choisie des contes des fĂ©es, et autres contes merveilleux, ornĂ©s de figures, Amsterdam et Paris, 1786, t. 26, p. 29-214. Les citations du conte de Madame de Villeneuve sont extraites de cette Ă©dition. 8 Sur ces merveilles optiques dans le conte de Madame de Villeneuve, voir A. Defrance, La rĂ©fraction des sciences dans le conte de fĂ©es », FĂ©eries, no 6, Le conte, les savoirs, 2009, p. 63-86 ; A. Gaillard, Anamorphoses les lieux dâillusion picturale dans la fiction contes et romans au xviiie siĂšcle », dans N. Ferrand Ă©d, Locus in Fabula, La topique de lâespace dans les fictions françaises dâAncien RĂ©gime, Peeters, Louvain, 2004, p. 539-552. 9 D. Anzieu, Le Moi-Peau », Nouvelle revue de psychanalyse, Le Dehors et le Dedans », no 9, printemps 1974. 10 CitĂ© par R. Legrand, La scĂšne et le public de lâOpĂ©ra-Comique de 1762 Ă 1789 », dans P. Vendrix dir., LâopĂ©ra-comique en France au xviiie siĂšcle, LiĂšge, Mardaga, 1992, p. 178-186. Voir les reproductions de la gravure dâIngouf et du dessin anonyme de la reprĂ©sentation versaillaise, p. 177 et 222. 11 Voir la description de cette Ă©dition dans A. Morin, Catalogue descriptif de la BibliothĂšque bleue de Troyes Almanachs exclus, GenĂšve, Droz, 1974, no 184, p. 87. 12 L. Mannoni, Trois siĂšcles de cinĂ©ma. De la lanterne magique au CinĂ©matographe, Collections de la cinĂ©mathĂšque française, Ăd. RĂ©union des musĂ©es nationaux, Paris, 1995, p. 49-54. 13 J. Starobinski, La Relation publique, Paris, Gallimard, 1970 LâEmpire de lâimaginaire, A Jalons pour une histoire du concept dâimagination » p. 173-195. 14 M. Milner, La Fantasmagorie. Essai sur lâoptique fantastique, Paris, PUF, 1982, p. 9-38. 15 J. de Palacio, Les perversions du merveilleux, Paris, SĂ©guier, 1993 ; Figures et formes de la dĂ©cadence, Paris, SĂ©guier, 1994. Voir N. Chatelain, Lorsque le titre se fait Ă©pitaphe chronique de la mort annoncĂ©e du conte-de-fĂ©e fin-de-siĂšcle », Fabula LHT, no 6, Tombeaux de la littĂ©rature, mai 2009. 16 L. LespĂšs, Les Contes de Perrault continuĂ©s par ThimothĂ©e Trimm, illustrĂ©s par Henry de Montaut, Paris, Librairie du Petit Journal, 1865, Lettre-prĂ©face Ă Henri de Montaud du 10 dĂ©cembre 1864, p. 1. 17 Ibid. 18 Ibid. 19 Willy, MĂ©comptes de fĂ©es », Une passade, Paris, Flammarion, 1894. 20 Pour mĂ©moire, voici lâĂ©pilogue de la planche no 1102 de lâImagerie Pellerin dâĂpinal Histoire de la Barbe Bleue Barbe-Bleue Ă©tant mort, sa femme hĂ©rita de ses grands biens. Elle maria richement sa sĆur Anne, acheta des charges de capitaines Ă ses frĂšres et se remaria Ă un jeune seigneur qui la rendit heureuse. » 21 E. Bossard, Gilles de Rais, MarĂ©chal de France dit Barbe-Bleue, Paris, H. Champion, 1885, rééd. Grenoble, JĂ©rĂŽme Millon, 1992, p. 322. 22 J. Michelet, La SorciĂšre, Paris, 1862, rééd. Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p. 64. 23 Ibid., p. 70. 24 CitĂ© par A. Renonciat, art. citĂ©, p. 117. Planche no 146. 25 Petite Histoire Nantaise Ă Cinq Centimes. La VĂ©ritable Histoire du Barbe-Bleue Nantais ou du MarĂ©chal de Retz, Nantes, Imprimerie de C. Mellinet, 1841. 26 Ibid., p. 1. 27 Ibid., p. 8. 28 Il est probable que lâorigine du prĂ©nom Alix soit aussi historique la seconde fiancĂ©e de Gilles de Rais, BĂ©atrix de Rohan, fille aĂźnĂ©e dâAlain de PorhoĂ«t et niĂšce du duc de Bretagne, dĂ©cĂšde peu de temps aprĂšs la signature du contrat en novembre 1418, Ă lâinstar de la premiĂšre fiancĂ©e, Jeanne Paynel, dĂ©cĂ©dĂ©e elle aussi quelques mois aprĂšs avoir Ă©tĂ© fiancĂ©e au MarĂ©chal de France en janvier 1417. Peut-ĂȘtre y a-t-il eu un glissement sĂ©mantique de BĂ©atrix Ă Alix. En 1909, dans Les Sept Femmes de la Barbe bleue et autres contes merveilleux, Anatole France prĂ©nomme la sixiĂšme Ă©pouse Alix. 29 Lion de Bourges Ms BNF fr. 22555, W. W. Kibler, Picherit et Th. Fenster Ă©ds, GenĂšve, Droz, 1980. Je remercie Martin universitĂ© dâArtois, Arras de mâavoir indiquĂ© ce texte. 30 C. Velay-Vallantin, La fille en garçon, Carcassonne, Garae/HĂ©siode, 1992. Le conte de la femme travestie en homme est identifiĂ© par A. Aarne et S. Thompson, The Types of the Folktale, F. F. Communications, Helsinki, 1960, par le conte-type 884 A A Girl Disguised as a Man is Wooed by the Queen, le conte-type 884 B The Girl as Soldier voir aussi le conte-type 514, le conte-type 884 B Girl Dressed as Man Deceives the King. Voir, dans P. Delarue et TenĂšze avec la collaboration de J. Bru, Le Conte populaire français Contes-nouvelles, Paris, Ăditions du ComitĂ© des travaux historiques et scientifiques, 2000, le conte-type 884, La fille en garçon au service du roi, p. 74-77. 31 C. Cazanave, DâEsclarmonde Ă Croissant. Huon de Bordeaux, lâĂ©pique mĂ©diĂ©val et lâesprit de suite, Besançon, Presses universitaires de Franche-ComtĂ©, 2007, p. 131-162 et en particulier p. 144-145. 32 M. Perret, Travesties et transsexuelles Yde, Silence, Grisandole, Blanchandine », Romance Notes, vol. 25, no 3, 1985, p. 328-340. 33 G. Salvat, La Barbe-Bleue, Paris, Bernard Grasset, 1912, p. 67. 34 C. Velay-Vallantin, Le miroir des contes. Perrault dans les BibliothĂšques bleues », dans R. Chartier dir., Les Usages de lâimprimĂ©, Paris, Fayard, 1987, p. 142. 35 R. Chartier, Histoire, littĂ©rature et pratiques. Entre contraintes transgressĂ©es et libertĂ©s bridĂ©es », Le DĂ©bat, no 103, janvier-fĂ©vrier 1999, p. of page List of illustrations Title Fig. 1. â Gravure de ZĂ©mire et Azor par Pierre-Charles Ingoulf. Credits BibliothĂšque nationale de France. URL File image/jpeg, 860k Title Fig. 2. â Frontispice des Contes plaisants de la Belle et la BĂȘte, Le Prince Charmant et Les Trois Souhaits 1822. Credits Collection privĂ©e. URL File image/jpeg, Title Fig. 3. â Gravure du Beauty and the Beast / A Tale 1815. Credits Collection privĂ©e. URL File image/jpeg, Title Fig. 4. â Gravure du Beauty and the Beast / A Tale 1815. Credits Collection privĂ©e. URL File image/jpeg, Title Fig. 5. â Planche no 1229, Histoire de Madame Barbe-Bleue. Credits Collection privĂ©e. URL File image/jpeg, Title Fig. 6. â Vignette extraite de la planche no 1229 tirĂ©e de l'Histoire de Madame Barbe-Bleue. Credits Collection privĂ©e. URL File image/jpeg, Title Fig. 7. Vignette extraite de la planche no 1229 tirĂ©e de l'Histoire de Madame Barbe-Bleue. Credits Collection privĂ©e. URL File image/jpeg, Title Fig. 8. â Vignette extraite de la planche no 1229 tirĂ©e de l'Histoire de Madame Barbe-Bleue. Credits Collection privĂ©e. URL File image/jpeg, Title Fig. 9. â Vignette extraite de la planche no 1229 tirĂ©e de l'Histoire de Madame Barbe-Bleue. Credits Collection privĂ©e. URL File image/jpeg, Title Fig. 10. â Vignette extraite de la planche no 1229 tirĂ©e de l'Histoire de Madame Barbe-Bleue. Credits Collection privĂ©e. URL File image/jpeg, Top of page References Bibliographical reference Catherine Velay-Vallantin, Les images contĂ©es des colporteurs », FĂ©eries, 11 2014, 71-97. Electronic reference Catherine Velay-Vallantin, Les images contĂ©es des colporteurs », FĂ©eries [Online], 11 2014, Online since 19 December 2015, connection on 21 August 2022. URL ; DOI Top of page Copyright © FĂ©eriesTop of page
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